Jan 28
Les explications de V. Crețulescu
La chronique de N. Trifon intitulée « L’ethnicité aroumaine est-elle soluble dans la nationalité roumaine ? » est parue dans le Courrier des Balkans début janvier 2021 au moment de l’apparition du livre Ethnicité aroumaine, nationalité roumaine : la construction discursive d’une identité nationale (1770-1878) de V. Cretulescu. Ce livre est issu d’une thèse de doctorat sur « le discours identitaire aroumain-roumain (à savoir, celui qui conçoit les Aroumains en tant que membres du peuple roumain ». Invoquant le droit de réponse l’auteur a envoyé le texte que voici au CdB que nous reprenons à notre tour :
« Je m’appelle Vladimir Crețulescu, et je vous écris au propos de la recension critique de mon livre (Ethnicité aroumaine, nationalité roumaine) que M. Nicolas Trifon a publié sur le site Internet « Le Courrier des Balkans », le 4 janvier 2022 (voici le lien : https://www.courrierdesbalkans.fr/L-ethnicite-aroumaine-est-elle-soluble-dans-la-nationalite-roumaine ).Puisque les avis exprimés par M. Trifon sur mon ouvrage furent assez négatifs, j’invoque mon droit de réponse, dont je bénéficie sur la base de l’article 13 de la Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, avec l’extension de ses principes aux publications sur l’Internet, en vertu de l’article 6 IV de la loi no. 2004-575 du 21 juin 2004[1] ». C’est désormais chose faite, le Courrier des Balkans vient de le publier, le voici.
V. Crețulescu : Réponse à la recension critique de N. Trifon
Lorsque j’ai lu la recension faite par Nicolas Trifon à propos de mon ouvrage paru en décembre dernier chez L’Harmattan, et intitulé Ethnicité aroumaine, nationalité roumaine : La construction discursive d’une identité nationale (1770-1878) [1], dans un premier abord, j’ai été enchanté par l’intérêt que M. Trifon prête à mon travail. Mais, en lisant attentivement son texte, paru le 6 janvier dans Le Courrier des Balkans no 1783 [2], j’ai constaté qu’il n’a pas compris l’essentiel de ma démarche théorique. De plus, même sur le plan empirique, ses critiques sont ou superficielles, ou mal fondées.
M. Trifon m’accuse de surenchère ou mésinterprétation des sources ; je vais confronter, donc, ces reproches (assez vagues, d’ailleurs), au témoignage concret et direct des sources mêmes. M. Trifon m’accuse d’avoir complètement négligé de contextualiser lesdites sources. Pourtant j’ai dédié deux sous-chapitres entiers à la seule contextualisation des sources étudiées pour la période 1770-1830 [3]. Enfin, M. Trifon m’accuse de m’être égaré par rapport aux « faits historiques ». Mais il ne développe point ce sujet, ni de près ni de loin : de quels faits historiques s’agirait-il ? Bien que je sois historien, je ne suis pas en mesure d’élucider ce mystère – mes capacités divinatoires sont limitées.
Quant à l’identité aroumaine-roumaine, je vais montrer qu’il ne s’agit pas d’un discours inventé de toutes pièces après 1830, à partir d’ « “éléments de langage” esquissés par les quarante-huitards valaques et moldaves », comme le pense M. Trifon. En ce qui suit, je vais démontrer que l’identité nationale roumaine des Aroumains est une construction discursive dont témoignent, et à laquelle participent, plusieurs intellectuels aroumains, comme par exemple C.H. Gehani (1773), G.C. Roja (1808, 1809) et M. Boiagi (1813). En fait, il s’agit d’un discours identitaire d’origine aroumaine. L’élite intellectuelle moldo-valaque des « quarante-huitards » [4] ne s’y rattache qu’après 1830, en prêtant sa contribution idéologique, et ensuite son appui politique, à un discours déjà constitué (voir pp. 145-209 de mon livre). D’ailleurs, c’est pour mettre en exergue ce développement collaboratif – œuvré avec la contribution successive d’élites aroumaines, puis roumaines –, que j’ai choisi de nommer mon objet d’étude « le discours aroumain-roumain », en développant un concept lancé par Thede Kahl (voir p. 31-32 de mon livre).
Puisque ce n’est pas la place ici de déferler un débat en détail sur les diverses problématiques de la « question Aroumaine » (la controverse sur les origines des Aroumains, le débat ‘langue vs. dialecte’ concernant leur idiome, etc. – des questions qui ne font, d’ailleurs, pas l’objet de mon livre), je vais me résumer à répondre seulement aux critiques centrales soulevées par M. Trifon. Je vais commencer avec la fin, pour ainsi dire, en m’attaquant à ses conclusions :
« Le problème est que chez cet auteur – dit-il à mon propos – le processus discursif est faussé pour ce qui est de la période 1770-1830. Les explications qu’il fournit sont par conséquent fausses puisque fondées essentiellement sur les “éléments de langage” esquissés par les quarante-huitards valaques et moldaves, des “éléments de langage” qui seront repris en Roumanie par ceux qui se présentent jusqu’à nos jours comme les gardiens de la « tradition ». C’est la principale objection que l’on peut soulever. »
Donc selon M. Trifon, ma description du processus discursif (en occurrence, aroumain-roumain) serait faussée, puisque mes explications sont fondées sur des “éléments de langage“. Cette critique, caractérisée par M. Trifon lui-même comme « la principale objection que l’on peut soulever », demontre que le recenseur a manqué de comprendre l’essentiel même de ma démarche. Car, en fait, la question de recherche que je me suis proposé d’éclaircir dans mon ouvrage fut:
« Comment s’est constitué et developpé le discours identitaire aroumain-roumain, jusqu’à l’indépendance roumaine? » (p. 32 de mon ouvrage)
L’essentiel de ma démarche porte donc précisément sur l’évolution de ce que M. Trifon appelle, non sans une note malicieuse, des éléments de langage. En effet, j’ai étudié une manière de parler sur les Aroumains, promue par un certain discours identitaire. Ce faisant, je me suis situé dans la tradition académique du tournant linguistique (linguistic turn) [5]dans les sciences sociales, dont la perspective théorique « appréhende les identités collectives non pas comme des objets fixes à décrire, mais plutôt comme des processus discursifs à expliquer », et qui m’a inspiré à interroger l’identité aroumaine « comme étant non pas une réalité dure et inéluctable, mais un système de représentation, un assemblage d’articulations discursives. » (p. 37 de mon livre).
En fait, bien que M. Trifon apprécie mon cadre théorique comme constituant « la partie la plus passionnante du livre », il semble avoir manqué les implications de mes choix théoriques et méthodologiques ; et j’en suis navré, particulièrement étant donné l’effort que j’ai dépensé à expliquer et expliciter ces choix, et leur adéquation à mon objet de recherche (voir en particulier les pp. 27-32 et 35-39 de mon livre).
C’est intéressant d’observer que ce sont principalement les deux premières parties de ma recherche, traitant de la période 1770-1830 [6], qui attirent la plupart des critiques – « le processus discursif est faussé pour ce qui est de la période 1770-1830 », dit le recenseur. La troisième partie, recouvrant la période 1830-1878 [7], avec l’entrée en scène des « jeunes Moldaves et Valaques de la génération des révolutionnaires de 1848 », relève bien moins d’objections : « Avec ces derniers, les choses sont relativement simples, leurs écrits étant explicites », précise M. Trifon.
En fait, ce qui semble vexer le recenseur est ma démonstration de l’existence d’un filon identitaire roumain endogène, au sein de la communauté ethnique aroumaine, bien avant l’intervention exogène de la propagande nationale roumaine, après 1830 (ou pour être plus précis, après 1860).
De ce fait, pour ce qui est du discours identitaire aroumain-roumain entre 1770 et 1830, M. Trifon est impitoyable :
« A force de présuppositions et d’extrapolations portant sur des différends au sein par exemple de l’église grecque et valaque de Pest au tout début du XIXe siècle, il finit mutatis mutandi[s] par s’éloigner non seulement des faits historiques mais aussi des interprétations suggérées par les auteurs d’origine aroumaine citées, pour mettre en avant l’« idée de l’unité linguistique et ethno-nationale des Aroumains et de Roumains » (p. 110). »
Ou encore :
« L’absence de toute tentative de contextualisation des sources utilisées par V. Creţulescu pour mettre en récit le « discours identitaire aroumain-roumain » et la propension de cet auteur à « surinterpréter » font que ce discours se recoupe en fin de compte avec le discours roumain tout court, celui des essentialistes. »
En fait, je suis non seulement politologue, mais aussi (même principalement !) historien, et ma thèse de doctorat – dont mon livre est la forme publiée – est, en fait, une thèse en histoire et science politique (c’est quelque chose que M. Trifon a mystérieusement omis de préciser dans sa recension). Dans ce contexte, les charges d’éloignement par rapport aux faits historiques, d’interprétation abusive, surinterprétation ou manque de contextualisation des sources historiques sont, vraiment, très graves. Je vais leur répondre à la manière d’un historien : à savoir, en confrontant ces accusations aux sources historiques mêmes qui sous-tendent et soutiennent mon argumentation, et que j’ai supposément mésinterprétées, « surinterpretées », etc.
Je précise que tous les extraits des sources à suivre se trouvent cités explicitement dans mon livre, et que j’ai mobilisé ces citations afin de démontrer la présence d’un discours identitaire roumain parmi les Aroumains, avant 1860 ; en fait, c’est précisément la partie de ma thèse dont la « démonstration n’est guère convaincante », selon l’avis de M. Trifon.
Commençons avec le cas de l’église grecque et valaque de Pest, évoqué par M. Trifon. Voici un extrait de la pétition adressée aux autorités autrichiennes, le 27 août 1807, par les Aroumians (Valaques) qui faisaient partie de la paroisse en question :
« En effet il est incontestable que notre langue maternelle valachique dans laquelle on officie partout la Liturgie et les Services sacrées, nous l’avons en commun avec les autres sujets de cette nation du Royaume césarique. » [8] (p. 109 de mon ouvrage).
Dans le contexte historique de l’Empire des Habsbourg à l’époque, il est assez clair que la référence aux « autres sujets de cette nation » (valaque, implicitement) qui officiaient « partout la Liturgie et les Sevices sacrées » dans leur langue valaque, visait les Roumains de Transylvanie. Ceux-ci avaient leur propre association culturelle nationale depuis 1795, et employaient le roumain dans le service religieux. Les Aroumains de Pest réclament le même privilège pour leur idiome aroumain, en assimilant – au moins discursivement – cet idiome à la langue roumaine parlée en Transylvanie (voir pp. 104-111 de mon livre, pour l’explicitation détaillée du contexte historique et discursif en question).
Ceci dit, on pourrait, pour l’instant, soupçonner qu’il s’agissait là d’une manœuvre ponctuelle, opérée par des Aroumains pestois utilisant l’association discursive aux Roumains transylvains afin de donner un plus de légitimité à leurs propres demandes ethno-nationales, dans un contexte précis et strictement local. Pourtant, d’autres sources aroumaines de la même époque et du même espace sociopolitique (l’Empire des Habsbourg) construisent l’association discursive aroumaino-roumaine d’une manière bien plus explicite, prononcée et développée. Cela situe la pétition pestoise de 1807 dans un réseau intertextuel bien plus ample, qui donne à voir la stratégie discursive déployée par une partie de la diaspore aroumaine d’Europe centrale, visant une mise en convergence du discours identitaire aroumain avec l’identité roumaine.
Voici, par exemple, ce qu’ écrit en 1808 l’aroumain pestois G. C. Roja, dans son premier livre, publié à Pest, et intitulé « Recherches sur les Roumains ou soi-disant Vlaques, qui habitent de l’auter côté du Danube » :
« Le peuple, dans sa langue maternelle, emploie comme nom pour soi-même le mot ‘Romani’, ‘Ramani’, qui diffère seulement en prononciation, et qu’il garde jusqu’à nos jours. […] Le nom de ‘Romains’ est aujourd’hui propre à ma nation aussi bien qu’à nos frères qui se trouvent en Transylvanie, Valachie et Banat […] cela explique notre descendance des Romains et les sonorités similaires avec la langue latine. » [9] (p. 123 de mon livre).
Et encore le même auteur, dans les pages du même livre :
« Ce n’est pas mon but de parler des Roumains qui habitent en Transylvanie et en Valachie, mais je veux montrer en bref que ceux-ci sont nos frères, chose qui se voit premièrement de leur nom, car ils s’appellent, eux aussi, Romains ; deuxièmement, [ça se voit] de leur langue qui est une et la même avec notre langue, bien que mélangée avec des mots slaves ; néanmoins, les deux branches s’entendent réciproquement assez bien. » [10] (p. 126 de mon livre).
Qui plus est, l’idée des rapports de parenté et d’unité linguistique supposés à relier les Aroumains et les Roumains n’est guère une nouveauté apparue dans la diaspore aroumaine ex nihilo, en 1808. En 1773, le savant errant Constantin Hagi Gehani, aroumain de Moscopolis, visite le professeur allemand Johann Thunmann, à Halle. A cette occasion, Gehani informe Thunmann sur les Aroumains, lui disant, entre autres, que ceux-ci « parlent la même langue que leurs frères de l’autre côté du Danube, mais très mélangée avec des mots grecs. » [11] (p. 81-82 de mon livre).
En fait, M. Trifon m’accuse d’avoir « surinterpreté » de tels passages, notamment en m’éloignant « des interprétations suggérées par les auteurs d’origine aroumaine citées ». Pour ma part, je dirai que les propos exprimés dans les fragments cités sont plutôt clairs et explicites, ne nécessitant point de grands efforts herméneutiques pour mettre à jour les interprétations qu’elles « suggèrent ».
De plus, Roja n’est pas isolé dans sa plaidoirie pour la fraternité ethnoculturelle aroumaino-roumaine : les noms des 200 parrains Aroumains listés à la fin de son premier livre – ceux ayant financé la publication du tome (voir p. 127-128 de mon ouvrage) – démontrent que les propos de cet auteur expriment les avis et aspirations d’une partie consistante de la diaspora Aroumaine central-Européenne.
Si les options identitaires de Roja ne sont pas encore assez claires, notons que le titre de son second livre, publié à Buda en 1809, exprime tout un programme culturel : « La maîtrise de la lecture roumaine avec des lettres latines, qui sont les lettres anciennes des Roumains, pour le polissage de tout le peuple Roumain de ce côté et de l’autre du Danube » [12]. En fait il s’agit d’un traité de grammaire, dont le but, déclaré dans son titre même, est de parachever une langue littéraire unique, vouée à l’usage de « tout le peuple roumain », à savoir des Aroumains (dont le foyer ancestral se trouve au Sud du Danube), comme des Roumains (qui habitent au Nord du grand fleuve). A cette fin, l’auteur estime nécessaire de « bannir de notre langue tous les mots étrangers et mettre à leur place d’autres [mots] roumains inaltérés, qui sont parsemés dans les dialectes désunis du même peuple roumain » [13] (voir pp. 128-133 de mon livre).
Les efforts grammairiennes de Roja sont miroités par un autre Aroumain, Mihail Boiagi, qui publie en 1813, à Vienne, sa « Grammaire Roumaine ou Macédonovlaque » [14]. L’adhésion de cet auteur au discours identitaire aroumain-roumain est considérablement moins explicite que dans le cas de Roja : ici il est vraiment question de suivre une ligne d’interprétation suggérée (plutôt qu’affirmée) par l’auteur en question. Voici donc un passage suggestif :
« Notre langue valaque, qui est parlée par quatre millions d’âmes, mais [trop] politiquement parsemés pour pouvoir s’unir dans un tout important (par comparaison, comme les Hongrois sont unis dans leurs deux ou trois millions !) et qui même dans le pays, tellement heureux par nature, appelé par ses habitants Valachie, [comme en Moldavie [15][…], a ses garanties les plus sûres dans ses sœurs, les langues italienne, française, espagnole, pour voir ce qu’elle-même pourrait devenir lorsque le souci pour sa culture saisirait le peuple entier, de la couche la plus haute jusqu’à la plus basse ! » [16] (p. 137 de mon ouvrage)
Il n’est pas excessif, ni abusif d’inférer de ce passage que, selon Boiagi, « notre langue valaque » (la référence est à l’idiome des Aroumains, dans ce contexte) était parlée aussi en Valachie, « comme en Moldavie », donc dans les Principautés roumaines du Nord du Danube ; et que par conséquent, les « quatre millions d’âmes » évoqués par Boiagi réunissaient la totalité des Roumains Nord-danubiens et Aroumains balkaniques, parleurs, à son avis, de la même langue maternelle valaque (littéralement, dans les mots de Boiagi : walachische Muttersprache).
Conclusion
Je crois avoir démontré que le discours identitaire aroumain-roumain n’est pas une invention des révolutionnaires roumains de 1848, comme le pense M. Trifon, mais une création aroumaine. Cette conclusion est soutenue, clairement et souvent explicitement, par des sources historiques peu nombreuses – c’est vrai –, mais très éloquentes. En fait les élites roumaines « quarante-huitardes » ne font que reprendre ce discours identitaire, qui constitue l’une des manières conçues par les Aroumains eux-mêmes, pour penser et parler de leur propre identité ethnique [17].
En outre, M. Trifon m’impute que, dans mon analyse, le discours aroumain-roumain « se recoupe en fin de compte avec le discours roumain tout court, celui des essentialistes. » ; et ce reproche démontre, à lui seul, que le recenseur n’a vraiment pas compris l’essence de ma démarche. Car en fait oui, c’est exact : ce que M. Trifon appelle « discours roumain tout court », et ce que j’appelle « discours aroumain-roumain »… ce sont, en effet, exactement la même chose – il s’agit bien du seul objet de recherche de mon ouvrage. J’en préfère la désignation de « discours aroumain-roumain », en raison du fait que ce discours fut conçu par des Aroumains (bien que le recenseur refuse d’accepter ses évidentes origines aroumaines), et ensuite repris et développé par les Roumains.
Quant à l’essentialisme évident de ce discours identitaire (qui, dans sa forme parachevée, postule que les Aroumains ont toujours été et seront toujours, fondamentalement, des Roumains), j’en ai bien pris mes distances, notamment en traitant mon objet de recherche en tant que discours, à savoir « comme étant non pas une réalité dure et inéluctable, mais un système de représentation, un assemblage d’articulations discursives. » (p. 37 de mon livre). M. Trifon semble, pourtant, avoir manqué d’observer le non-essentialisme de ma démarche. A-t-il, peut-être, lu mon livre à la lumière de ses propres partis pris essentialistes concernant l’identité des Aroumains ?…
Post scriptum
Parmi les critiques secondaires de M. Trifon, il y en a une qui m’a vraiment étonné : « évoquer « l’existence d’une ethnicité aroumaine bien définie dès le Xe siècle, au plus tard » (p. 51), n’est pas sans soulever quelques objections de fond », écrit le recenseur. Il développe ses objections sur ce point dans sa note no. 5, lorsqu’il ‘déplace’ le point d’origine de l’ethnicité aroumaine au XXe siècle.
M. Trifon rejette donc mon assertion de l’existence d’une ethnicité aroumaine au Xe siècle. Voilà, pourtant, ce qu’il nous dit sur ce même sujet, dans les pages de son magnum opus, intitulé Les aroumains, un peuple qui s’en va :
« Les Aroumains sont attestés pour la première fois dans les Balkans, sous le nom de Valaques, aux alentours de l’an mille. […] La mention d’un ethnonyme jusqu’alors inconnu, celui de Valaque, apparaît dans la charte signée en 980 par l’empereur byzantin Basile II […] La charte de 980 confère le commandement des Valaques d’Hellade à Nikulitsas l’Ancien, dont le petit-fils, le stratège (gouverneur) Kékavménos, se fera le chroniqueur – et pourfendeur – de la révolte des Valaques contre Byzance de 1066, dans ses Conseils et récits. » [18]
Il va sans dire que l’année 980 appartient au Xe siècle. Qui plus est, si les Valaques sont assez solidaires en 1066 pour pouvoir organiser une révolte, alors ils constituent, en toute probabilité, une communauté ethnique dont la cohésion interne est instituée et maintenue par sa propre ethnicité, et non seulement une simple catégorie ethnique, conçue et perçue uniquement de l’extérieur, par les Byzantins [19].
Peut-être s’agit-il d’un simple malentendu engendré par mon emploi maladroit du syntagme « au plus tard », que je regrette, et que le recenseur a tenté de corriger. L’autre possibilité est moins innocente : du zèle polémique à la malhonnêteté intellectuelle, il n’y a parfois qu’un pas. Je suis sûr, pourtant, que ce n’est pas le cas : Nicolas Trifon est un auteur sérieux, dont je respecte l’oeuvre, bien qu’il ne soit pas historien de formation, et même si nos interprétations des « faits historiques » s’avèrent parfois divergentes.
Par ailleurs, je remercie M. Trifon de m’avoir signalé les quelques fautes de frappe et formulations étranges ayant échappées aux multiples relectures de mon texte, précédant sa publication.
Notes
[1] Vladimir Crețulescu, Ethnicité aroumaine, nationalité roumaine : la construction discursive d’une identité nationale (1770-1878), préf. Florin Turcanu, L’Harmattan (Questions contemporaines), 2021, 249 p.
[2] Pour la version en ligne de la recension en question, accéder au lien : https://www.courrierdesbalkans.fr/L-ethnicite-aroumaine-est-elle-soluble-dans-la-nationalite-roumaine.
[3] Voire les chapitres I.2 (intitulé « Moscopolis : prospérité économique et fleurissement culturel », pp.60-67) et II.1 (intitulé « Les Aroumains de l’Europe centrale et l’essor d’une bourgeoisie aroumaine : économie, culture et identité », pp. 95-111).
[4] Le syntagme « quarante-huitards » est utilisé dans l’historiographie roumaine pour désigner les révolutionnaires roumains de 1848.
[5] Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Editions Gallimard, 1969 ; Norman Fairclough, Language and Power, Second Edition, London, New York, Longman, 2001 [1989] ; Ernesto Laclau and Chantal Mouffe, Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics, London, Verso, 1985; Jacob Torfing, New Theories of Discourse: Laclau, Mouffe and Žižek, Oxford – UK, Malden – Massachusetts, Blackwell Publishers, 1999; Henry G. Widdowson, Discourse Analysis, Oxford, Oxford University Press, 2007; Ruth Wodak, The Discourse of Politics in Action: Politics as Usual, Palgrave Macmillan, 2011. Et je cite ici seulement les auteurs que j’ai mobilisés dans mon ouvrage. La tradition théorique du tournant linguistique est bien plus riche et diverse que ces quelques citations le suggèrent, car elle trace ses racines, via Foucault et Derrida, jusqu’aux philosophes du langage (William James, Ludwig Wittgenstein, David Kaplan, John L. Austin, John R. Searle, entre autres).
[6] Il s’agit des chapitres I et II, recouvrant la période 1770-1830, ou pp. 55-143 du livre.
[7] Il s’agit du chapitre III, recouvrant la période 1830-1878, ou pp. 145-209 du livre.
[8] « Indubitatum etenim est, primitivam nostram linguam Valachicam in qua Lyturgiae et Sacrae functiones ubique celebrantur, communem nobis esse cum ceteris nationis hujus caesaree Regiis subditis » (nos italiques) ; Pericle Papahagi, Scriitori aromâni în secolul XVIII (Cavalioti, Ucuta, Daniil), Institutul de Arte Grafice „Carol Göbl”, Bucarest, 1909, p. 22, note en bas de page 3 ; voir aussi Valeriu Papahagi, Viaţa culturală a aromânilor în secolul al XVIII-lea şi în prima jumătate a celui de-al XIX-lea, Viorel Stănilă (ed.), Institutul Cultural Român, Institutul de Ştiinţe Politice şi Relaţii Internaţionale, București, 2015, p. 207 ; le syntagme « caesaree Regiis » (« Royaume césarique ») signifie l’Empire des Habsbourg.
[9] « Die Nation fuhr immer fort, sich in der Muttersprache Romani, Ramani zu nennen, welche nur in den Buchstaben etwas veränderte Benennung sie auch heut zu Tage behaltet. […] Der Name Romanier ist heute meiner nation und unseren in Siebenbürgen, in der Wallachen und im Banat sich befindenden Brüdern eigen, […] weil er durch unsere unten zu bezeugende Herstammung auch von den Römern, und durch die sehr lateinisch klingende Sprache befestiger wird. » ; Georg Constantin Roja, Untersuchungen über die Romanier oder sogennanten Wlachen / ΕΞΕΤΑΣΕΙΣ περίτων ΡΩΜΑΙΩΝ η των ονομαζομένων Βλάχων, Mathias Trattner, Pesth, 1808, pp. 42, 44.
[10] « Von den in Seibenbürgen und in der Walachen wohnenden Romaniern zu reden, gehört zwar zu meinem Zwecke nicht, doch will ich nur kurz erwähnen, dass sie unsere Brüder sind, welches erstens aus ihrer Benennung erhellet, indem sie sich auch Romani nennen; zweitens aus ihrer Sprache welche eine und dieselbe mit unserer ist, nur mit slavischen Wörtern erwas vermischt; doch beide Nationen verstehen sich im Sprechen ziemlich. » ; Roja, Untersuchungen / ΕΞΕΤΑΣΕΙΣ, p. 98.
[11] « sie reden ebendieselbe Sprache als ihre Brüder diesseits der Donau : nur ist sie mit griechischen Wörtern stärker vermischt » ; Johann Thunmann, Untersuchungen über die Geschichte der östlichen europäischen Völker, Leipzig, 1774, p. 174.
[12] La référence complète de cet ouvrage, y compris son titre originaire bilingue, en aroumain à caractères cyrilliques et en grec, est la suivante: Gheorghe Constantin Roja, МАЕСТРЇА ГЇѠВАСИРЇЙ РѠМѪНЕЩЙ ку литєрє латинєщй, карє сѫнт литєрєлєРѡмѫнилѡр чялє вєкй / ΤΕΧΝΗ ΤΗΣ ΡΩΜΑΝΙΚΗΣ ΑΝΑΓΝΩΣΕΩΣ με Λατινικά γράμματα, τα οποία είναι τα παλαιά γράμματατων Ρωμάνων, Crăiasca Tipografie a Universităţii Ungureşti, Buda, 1809.
[13] « Ѫнаинте де тоате дар липсѣще съ лъпъдъм дин лимба ноастръ тоате кувинтеле чѣле стреине, ши съ пунем ѫн локуллωр алтеле невътъмате Рωмѫнещи, каре сѫнт прин дезбинателе ачеїѧш Гинтъ Рωмѫнѣскъ дїалекте съмънате » ; dans la version grecque, ce passage est plus lapidaire : ‘Εν πρώτοις λοιπόν πρέπει να αποϐάλλωνται όλαι αι ξέναι λέξεις απο τηνγλώσσαν μας, και να τιϑώνται γνήσιαι, αι οποίαι ευρίσκονται διασκορπισμέναι εις τας διαφορούς διαλεκτούς της Ρωμανικήςγλώσσης » ; Roja, МАЕСТРЇА / ΤΕΧΝΗ, p. 10,11 ; voir aussi V. Papahagi, Viaţa culturală, p. 233-234.
[14] BOIAGI, Mihail G. Boiagi, ΓΡΑΜΜΑΤΙΚΗ ΡΩΜΑΝΙΚΗ ΗΤΟΙ ΜΑΚΕΔΟΝΟΒΛΑΧΙΚΗ / Romanische oder Macedonowlachische Sprachlehre, Vienne, dans la typographie de Johann Snyrer, 1813; Ma traduction du titre de l’ouvrage sous la forme « Grammaire Aroumaine ou Macédonovlaque », au lieu de « Macédonovalaque » n’est pas une erreur de ma part, comme le suggère M. Trifon dans sa note no. 8, mais un choix manifeste que j’ai fait : j’ai bien argumenté mon choix de légèrement modifier la traduction préférée par Matilda Caragiu-Marioțeanu, dans la note en bas de page no. 136, p. 133-134 de mon ouvrage.
[15] Dans la version Allemande du texte, l’auteur ajoute la précision « so wie in der Moldau » ; la précision en question est absente de la variante grecque.
[16] « Unsere walachische Muttersprache, die von etiva 4 Millionen Geelen geredet wird, die aber bisher politisch zu fehr zerstückelt sind, um eine bedeutende masse zu bilden, (wie bedeutend sind dagegen die vereinten 2 bis 3 Millionen Ungarn!) die selbst in dem von Natur so glücklichen Laude das nach seinen Bewohnern die Walachen gennant wird, so wie in der Moldau […], hat an ihren Schwestern, der italiänischen, französischen und spanischen Sprache die sichersten Bürgen, was auch aus ihr werden könnte, wen sie sich einst der glücklichen Zilege der ganzen Nazion, Hoher und Niederer, erfreuen könnte! » ; Mihail G. Boiagi, Gramatica română sau macedo-română reeditată cu o introducere şi un vocabular de Pericle Papahagi, Bucureşti, Tipografia Curţii Regale, F. Göbl Fii, 1915 [1813], p. ι (10).
[17] Le discours aroumain-roumain n’est pas la seule manière de concevoir l’ethnicité aroumaine. Dans l’introduction de mon livre (voir pp. 20-27), j’ai aussi recensé les auteurs ayant contribué aux deux autres discours sollicitant l’adhésion identitaire des Aroumains : en l’occurrence, il s’agit du discours qui construit les Aroumains en tant que des Grecs, voire du discours qui conçoit les Aroumains comme une minorité ethnoculturelle sui generis. M. Trifon est, de nos jours, le plus subtil et brillant défenseur de ce dernier discours identitaire. Pour un échantillon de son regard critique sur les conséquences du discours – et du mouvement – aroumain-roumain, voir Nicolas Trifon, « Les Aroumains en Roumanie depuis 1990 : comment se passer d’une (belle‑)mère patrie devenue encombrante », Revue d’études comparatives Est‑Ouest, Les politisations de l’identité dans les Balkans contemporains (numéro thématique), Nadège Ragaru (dir.), t. 38, no. 4 / 2007, pp. 173‑200.
[18] Nicolas Trifon, Les Aroumains, un peuple qui s’en va, Editions Acratie, La Bussière, 2005, p. 6 ; pour la nouvelle édition du même livre, consulter Idem, Les Aroumains, un peuple qui s’en va, Editions Non Lieu, 2013, 554 p.
[19] Pour mes définitions opérationnelles des concepts « catégorie ethnique », « communauté ethnique » et « ethnicité », voir p. 43 de mon ouvrage.
[1] Je m’adresse donc à M. Amaël Cattaruzza, directeur de la publication Le Courrier des Balkans, en lui sollicitant respectueusement que le texte mis en pièce jointe soit publié, sans aucune modification, sur le site Internet « Le Courrier des Balkans », comme réponse à la recension faite par M. Nicolas Trifon au propos de mon livre.
M. Cattaruzza, vous êtes, en France, les héritiers du fier esprit républicain et démocratique ayant, depuis son essor révolutionnaire, toujours affirmé et défendu les libertés d’opinion et d’expression. De ce fait, vous héritez aussi l’illustre tradition de débat rationnel et d’échange libre d’idées, engendrée par l’esprit de ces mêmes libertés. Ma confiance absolue en votre acceptation de ma requête de publication est donc fondée, à vrai dire, non pas sur mon droit légal à la réponse, mais sur le respect que vous portez aux principes et idéaux fondamentaux de la société française.
6 February 2022 à 1:14 am
Cher M. Cretulescu,
Puisant aux maigres et vagues chroniques byzantines (Chalkokondyles), l’idée d’une origine ethnique commune entre Roumains et Aroumains prend à la vérité ses racines dans l’historiographie nobiliaire et les chroniques moldaves, pour apparaitre notamment sous la plume d’un Miron Costin ou d’un Dimitrie Cantemir. Esquissé dans ses linéaments et ses soubassements à l’aube de l’époque contemporaine par une petite minorité d’Aroumains de la diaspora sise en Europe du Centre-Est, ce discours “aroumano-roumain” forgé en prise directe avec l’Ecole transylvaine fut pour sa part précédé par un courant latiniste (Oucouta, etc.) minoritaire plus proprement aroumain et nullement hostile à ce néo-hellénisme trans-national (dont vous ne soufflez mot) duquel participaient Grecs et Aroumains.
Il conviendrait du reste de bien distinguer et de faire le départ entre le “pan-roumansime” d’un Roja, qui place Aroumains et Roumains sous le signe de l’égalité et de la symétrie taxonomiques, et ce discours ethno-politique nationaliste roumain post-48 d’extraction herdérienne ravalant les Aroumains au rang subordonné de branche cadette et vernaculaire d’expression étroitement “dialectale” vouée subrepticement à l’assimilation à la Nation roumaine. Tout bien considéré, le syntagme d’aroumano-roumain siérait peut-être mieux au dernier discours qu’au pénultième. Il faut bien se garder de faire régner la confusion en pareille matière !
On ne sait d’ailleurs pourquoi vous persistez tant à vouloir qualifier la grammaire pionnière du romaniste Boiagi de Grammaire “Roumaine”. Peut-on vraiment traduire, à votre gré, les épithètes de Romaniki et de -romanisch par “roumaine” ? Quelles que fussent au demeurant ses théories personnelles sur l’unité relative de la romanité orientale, l’épithète de Makedono- signale clairement sa grammaire comme une grammaire aroumaine.
Pour en venir à des considérations plus spécifiquement théoriques et conceptuelles, sachez que votre généalogie constructiviste du discours national aroumano-roumain ne laisse pas d’étonner. Il est sans exemple à ma connaissance (du moins en Occident) qu’on déconstruise ainsi, à toute force et sous couleur de désintéressement scientifique, tel discours idéologique construit dans le but manifeste de conférer par là même à ce dernier quelque surplus de légitimité intellectuelle et morale.
7 February 2022 à 9:48 am
Va pour une correction et des ajouts ici aussi.
Cher M. Cretulescu,
Puisant aux maigres et vagues chroniques byzantines (Chalkokondyles surtout), l’idée d’une origine ethnique commune entre Roumains et Aroumains prend à la vérité ses racines dans l’historiographie nobiliaire et les chroniques moldaves, pour apparaitre notamment sous la plume d’un Miron Costin ou d’un Dimitrie Cantemir.
Esquissé dans ses linéaments et ses soubassements à l’aube de l’époque contemporaine par une petite minorité d’Aroumains de la diaspora sise en Europe du Centre-Est, ce discours “aroumano-roumain” forgé en prise directe avec l’École transylvaine fut pour sa part précédé par un courant “latiniste” (Oucouta, etc.) minoritaire plus proprement aroumain et nullement hostile à ce néo-hellénisme supra-national (dont vous ne soufflez mot) duquel participaient Grecs et Aroumains. Le discours susdit aroumano-roumain ne saurait donc, sans une criante invraisemblance, être séparé du contexte culturel, géographique politique roumain, fût-ce même dans ses tout premiers développements.
Il conviendrait du reste de bien distinguer et de faire raisonnablement le départ entre le “pan-roumansime” d’un Roja, qui place Aroumains et Roumains sous le signe de l’égalité et de la symétrie taxonomiques, et ce discours ethno-politique nationaliste roumain post-48 d’extraction herdérienne ravalant les Aroumains au rang subordonné de branche cadette et vernaculaire d’expression étroitement “dialectale” vouée subrepticement à l’assimilation à la Nation roumaine moderne. Tout bien considéré, le syntagme d’aroumano-roumain siérait peut-être mieux au dernier discours qu’au pénultième. Il faut bien se garder de faire régner la confusion en pareille matière !
On ne sait d’ailleurs pourquoi vous persistez tant à vouloir qualifier la grammaire pionnière du romaniste Boiagi de grammaire “roumaine”. Peut-on vraiment traduire, à votre gré, les épithètes de Romaniki et de -romanisch par “roumaine” ? Quelles que fussent au demeurant ses théories personnelles sur l’unité relative de la romanité orientale, l’épithète de Makedono- signale clairement sa grammaire comme une grammaire aroumaine.
Pour en venir à des considérations plus spécifiquement théoriques et conceptuelles, sachez que votre généalogie constructiviste du discours national aroumano-roumain ne laisse pas d’étonner. Il est sans exemple à ma connaissance (du moins en Occident) qu’on déconstruise ainsi, à toute force, tel discours idéologique ou telle représentation sociale dans le but manifeste de conférer par là même à ces derniers quelque surplus de légitimité intellectuelle et morale.
P.-S. M.Trifon, après votre adoubement par Vladimir Cretulescu comme “subtil et brillant défenseur” de l’identité aroumaine comme telle, là voilà enfin pleinement installée dans les consciences et les pratiques, cette représentation des Aroumains comme théâtre de conflit entre investisseurs identitaires de tout poil se partageant les rôles : nationalistes roumains ou grecs, inventeurs et sauveurs de minorités ethniques défavorisées, etc. Peyfuss n’eût pas mieux rêvé, lui qui définissait si pauvrement la “question aroumaine” comme simple enjeux de pouvoir et de domination pour les nationalistes et les “identitaristes” lancinants de toute sorte, laissant ainsi dans l’ombre les pans les plus intéressants de histoire et de la culture des Aroumains.